samedi 31 mai 2008

Jeff Buckley :: Grace

Columbia Records / 1994
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On l'imagine accoudé à un vieux bar en zinc. La mine grise. Le regard bas. Il vient de quitter son grand amour avec fracas. Après un long silence immobile, son regard pivote vers le barman et ses lèvres commencent à bouger de nouveau.

Il livre alors, sans fioritures, l'histoire de sa vie. Le gout de son malheur. La hauteur de sa désillusion. Mais, au fur et à mesure, l'ironie du sort fend ses lèvres d'un sourire. Sa peine est énorme, mais c'est celle de tous les hommes.

Et c'est sur un air de guitare enjoué qu'il se met a laisser défiler les images de son adieu à la femme de sa vie. Les personnes attablées interrompent leur conversation et se tournent, émues, devant ce grand brun désabusé et sa voix claire. Les passants s'arrêtent devant les portes battantes du bistro. Même les oiseaux cessent de chanter et s'approchent.

Avec quelle douceur il leur conta son histoire, entre folk et blues, nous n'en saurons rien. Mais nombre d'entre eux se souviennent encore des prénoms qui hantaient ces histoires, des sifflets de train et de ces amours perdus.

Amours auxquelles il répondait Hallelujah.

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EZ3kiel :: BARB4ry

Jarring Effects / 2003
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Inquiétante, la forme s'approche. Quelques spasmes lui vrillent les bras. Ses yeux se dilatent d'un coup, puis redeviennent billes dans leurs orbites. Sa bouche féminine s'ouvre à la démesure et se referme sur un sourire. Son pas est lent, feutré. Sa démarche bancale. Son visage s'anime, vibre, et notre reflet s'installe dessus.

Alarme rythmique, voix fantomatiques, bruits du fond des ages. Incantation infernale du monstre des origines qui sommeille en nous. Cruelle, cynique, âpre, elle remonte le long de nos cordes vocales, et vibre au diapason de notre effroi.

EZ3kiel nous révèle à nous même. Difforme, rongé par l'envie, le vice et le temps. Ce voile blanc de la pochette n'est là que pour dissimuler oh combien le mal nous a dévoré. Et cette frénésie n'aura pour obsession que de le lever pour enfin nous révéler notre vrai visage.

Celui de la barb4rie.

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Black Sabbath :: Paranoid

Warner Bros. Records / 1970
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Plus de doutes, nous vivons en enfer. Massacres, élites régnants sans partage, médias bulldozers, argent roi, paraître maître.

Et si nous devions notre monde contemporain à un album, un seul. Si, en entonnant War Pig, Black Sabbath avait libéré les forces de l'enfer sur le monde. Si Ozzy Osbourne en empoignant pour la seconde fois son mégaphone avait réveillé le monstre qui sommeillait dans l'humanité depuis sa naissance.

À moins qu'il n'ai essayé de l'enfermer dans cette prison d'aluminium, comme un génie dans sa bouteille.

Basses et guitares distendues et striardes, rythmiques hilares et diablotiques, et cette retenue avant le chaos.
Black Sabbath est un wagon fou dans la mine. Revirements abruptes, descentes vertigineuses, retours fracassants. Plus sa vitesse grimpe plus elle l'entraine vers les profondeurs.

Sans retours.

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vendredi 23 mai 2008

Dead can Dance :: Within the Realm of a Dying Sun

4AD / 1987
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Il n'aura jamais fait aussi froid qu'à l'écoute de ce Within the Realm of a Dying Sun. Le titre nous avait pourtant prévenu, la pochette effrayé, mais le royaume du crépuscule n'a pas fini de faire des adeptes.

Son étreinte moite, son souffle roque, sa voix sifflante nous rappelle que notre temps n'est pas encore venu, mais qu'il approche à grands pas. En témoigne le feulement de sa cape.

Parce que c'est bien notre tombe qui est ouverte sous nos yeux, et notre ombre qui en sort, à la recherche du jour. Et nous nous allongeons à sa place, le temps de ce disque glacial. Assistant impuissants, à la fermeture du jour au dessous de notre tête.

Claquent les dents de claviers, résonnent les tambours, rebondissent les échos lointains des voix de Brendan Perry et de Lisa Gerrard, pincent les cordes à l'approche du jugement dernier. Pas de repos pour les esprits damnés emprisonnés dans cet étau de plastique.

La foule des morts s'impatiente. Elle nous rappelle à eux. Lentement, leur cri brise la fureur des villes. Surement, ils s'accaparent nos yeux, notre souffle.
Les cloches sonnent déjà notre temps.

Et nous voilà des leurs.

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jeudi 22 mai 2008

Sunset Rubdonm :: Random Spirit Lover

Jagjaguwar / 2007
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Après le magistral Funeral d'Arcade Fire, que pouvions-nous décemment attendre de l'indie ? La réponse s'impose d'elle même sur les premières mesures de Random Spirit Lover : une folie fiévreuse et désarticulée.

Spencer Krug en maître de cérémonie, déjà couronné dans son Apologies to the Queen Mary, du combo Wolf Parade, reviens avec des plans remplis de rythmiques affolées, de claviers édentés et d'une voix toujours aussi portée sur les aigus. Et c'est un prodige.

Difficile d'accès, monté en épingle, dérangeant, mais tellement talentueux, foisonnant, insaisissable qu'il serait dommage de se laisser dissuader par les premières écoutes. The Courtesan has Sung est un exemple (parmi beaucoup d'autres) remarquable de ce talent à débuter par une épure, simples rythmiques sèches, puis de l'égayer par un chant dissonant, et encore, et toujours, claviers, tambourins, jusqu'à épuisement. L'oreille grogne d'abord, puis hurle de plaisir (façons de dire).

2004 a eu ses funérailles, 2007 revient en fanfare les célébrer.

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Portishead :: Third

Island / 2008
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Mais d'où peut bien venir ce gout du trio de Bristol pour le chiffre 11 ? Tous leurs albums comptent déjà ce même nombre de pistes, et ce n'est pas leur retour fracassant qui contredira cette drôle de lubie, 11 ans après NYC live.

L'ouverture de l'album, Silence, n'est d'ailleurs presque qu'une prolongation de l'attente avant le véritable début, celui ou la voix de Beth Gibbons entre en scène. On l'imagine, la clope au bec, trainant son spleen habituel dans les rues de la vielle Londres, la pluie battant les briques rouges des maisons alentours, le regard dur.

Âpre et douloureux, le trio nous reviens avec un album loin du jazz enfumé de ses débuts mais proche de ses préoccupations d'alors. L'identité perdue, l'incompréhension du monde et le mal-être hante les murs de guitares d'Adrian Utley et les rythmiques de
Geoff Barrow (qui a délaissé ses platines).

Changer pour se réinventer, tâche ardue. 2001 les avaient déjà rassemblé, sans suite. Dans les nombreuses interviews que les deux hommes ont donné, on lit que le dégout de la musique à la sortie de Portishead, en 1997, les a orienté vers d'autres projets. Puis, en auditeurs attentifs, ils ont tellement été laissé sur place par certains groupes (Sunn o))), Aphex Twin...) que l'envie de créer est revenue à la charge.

Third, pont lancé entre les peurs du passé et l'inspiration du moment, brille d'un talent étonnant, d'une maitrise stupéfiante. Leur passage au Zenith, hypnotique a souhait, fut grandiose. Il ne reste plus qu'à souhaiter que cette force créatrice donne encore vie.

Et pourquoi pas dans 11 saisons ?

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